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"La « mauvaise langue » des « ghettos linguistiques »

 
"La « mauvaise langue » des « ghettos linguistiques » : la glottophobie française, une xénophobie qui s’ignore"
 
 
Jo Arditty
 Philippe Blanchet

RÉSUMÉ

La « défense » du français a ainsi revêtu au moins deux aspects — défense contre une autre langue vs défense contre de « mauvais usages » et donc, éventuellement, les mauvais utilisateurs. C’est tantôt un aspect qui l’emporte, tantôt l’autre. Du serment de Strasbourg aux dénonciations du « globish » en passant par l’édit de Villers-Cotterêts et la « Défense et illustration… » de Du Bellay, le « Parlez-vous franglais ? » d’Étiemble (1964) et la loi Toubon (1994), il s’agit, selon l’Académie, d’assurer au français un statut de « langue égale en dignité au latin », puis de le protéger contre l’hégémonie anglo-américaine. Dès lors, on considère en France comme normal parce que banal et ainsi légitimé, de stigmatiser les pratiques non conformes par des propos glottophobes, d’avoir des comportements glottophobes, dont le caractère pourtant profondément altérophobe (xénophobe voire raciste) est à la fois escamoté par le fait qu’on regarde la langue comme un objet en soi en le déconnectant du monde social et qu’on prétend ainsi vouloir généreusement faire « progresser » les malheureux locuteurs des « patois » et autres « parlers déformés ».

CITATION

Jo Arditty, Philippe Blanchet, "La « mauvaise langue » des « ghettos linguistiques » : la glottophobie française, une xénophobie qui s’ignore ", REVUE Asylon(s), N°4, mai 2008, Institutionnalisation de la xénophobie en France, url de référence: https://www.reseau-terra.eu/article748.html

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"Le rapport à l’écrit et l’enseignement"    

 

Cliquez Ici ---> L'orthographe, une norme sociale de Bernadette Wynants  Editions Mardaga

 

Les fautes d’orthographe, toute une histoire à raconter . 

Du difficile passage de l’oral à l’écrit…

Mon père, parlait avec  l’accent de Lille, une  langue à mi-chemin entre le  français populaire et le ch’timi. Mon institutrice du CE1, à la rentrée, nous a demandé de réaliser un devoir écrit  racontant nos vacances. Me voici avec un épineux problème,  moi qui ne partais jamais en vacances. A cet âge, je n’ai pas eu l’idée de raconter mes longues balades en vélo dans la campagne, la bonne odeur du foin quand  nous nous installions pour gouter, les chewing-gums que nous fabriquions en mâchouillant les grains de blé ramassés dans les champs, les colliers de fleurs, les jeux de  « poule ou coq»  ou les sensations de piqures de la paille, lors de nos interminables jeux de cache-cache dans les ballots de paille.

 À cette époque, pour moi, les vacances, c’était forcément un voyage à la mer, ou un « ailleurs exotique ». Les environs de Pont-à-Marcq ne représentaient sûrement  pas  un lieu de villégiature. La maîtresse avait précisé que, ceux qui n’étaient pas partis en vacances, pouvaient raconter un évènement qui leur avait fait plaisir cet été là. Je choisis de raconter l’arrivée dans la famille  de mon chien Youki.

Dans mon écrit, je racontais pourquoi mon père me grondait en disant chaque fois. « À forche ed' donner  du chuc à’s quien y va  et’ malat ».

Pour bien parler Ch’timi j’avais compris qu’il fallait mettre des ch  à la place de s et ç et des k ou que, à la place des ch et que les en se disent in. Vous me suivez ? Et pour parler Français faire l’inverse évidemment.  De plus, je  savais  que je devais transcrire ce langage en « belles phrases »  pour satisfaire la maîtresse.  D’ailleurs enfant,  j’aurais eu des difficultés à écrire le Ch’timi, il  n’était pour moi qu’un langage parlé.

L’opposition entre langage écrit et langage oral a longtemps été une affaire de lutte entre la langue du bon français, l’écrit, et la langue du mauvais français,  le « parlé ». Généralement, on (les enseignants, les parents, les lettrés, les chercheurs) oppose en effet l’oral à l’écrit et souvent cette opposition s’accompagne d’un jugement dépréciatif. « Ils écrivent comme ils parlent ».

Du point de vue des linguistes, il convient de distinguer deux types de variables qui peuvent influer sur une production langagière. Les niveaux de langue, (ceux-ci ne sont pas des évidences inscrites dans la langue mais des distinctions socioculturelles) et les registres de discours qui varient en fonctions des situations de communication.

J’ai acquis le langage oral, constitué de mots, forgé par l’environnement social dans lequel je  vivais.  Le passage à l’école maternelle ne posa pas de problème. J’ai su intuitivement jonglé entre les mots « qui se disent à l’école » et ceux « qui se disent entre nous ». De la même manière, l'apprentissage de la lecture ne me fut pas difficile. La vraie difficulté commença à partir de  la production de textes écrits et la mise en récits.

Je ne me souviens plus de mon récit, seule une erreur fatale   me reste en mémoire. Respectant la règle intuitive,  je transformais le mot quien en chien et le mot  chuc en suc. A la réception de ma copie,  je vis une feuille barbouillée de rouge, avec le mot suc entouré une bonne dizaine de fois.  Impossible de me relire, je ne voyais que ces bulles rouges qui me montaient à la tête. Mais pourquoi avais-je répété, si souvent ce mot suc !  Je pris conscience   que manifestement, il ne faut pas écrire comme on parle et qu’on ne prononce pas comme on doit  écrire.

Humiliation ultime, la maîtresse se pencha vers moi et les « yeux dans les yeux », d’une voix trop forte à mon goût, elle articula «  on-dit-du- sucrrrrre ». J’entendais, derrière moi, les gloussements de mes camarades de classe. Trop disciplinée pour me rebeller contre la maîtresse, je vouais une rancœur,   un long temps à mon père et je le rendis responsable de mon niveau de langue inadapté aux exigences scolaires. En effet,  l’absence  de certains phonèmes notamment dans les mots se terminant par   r, cre,  tre, est une caractéristique de la langue ch’timi, par exemple « vous autres » se dit « t’ys aut’ ».

Des recherches linguistiques (1) ont établi que certains phonèmes souvent supprimés dans l'environnement linguistique d'un enfant sont absents de certains de ses mots. Je fis donc  des erreurs d'orthographe du simple fait des particularités linguistiques et sa variation sociolectale. Inversement, le contact avec la graphie normée via la lecture ou l'écriture pourra conduire l'enfant à ajouter les phonèmes manquants aux représentations phonologique et à modifier sa prononciation. En effet, le passage à l’écrit  permit de modifier ma prononciation.

Les dernières corrections se firent à l’âge adulte, lors de mes premières années d’enseignement en région parisienne. Les élèves me firent remarquer : on ne dit pas « vingte » en appuyant sur le t mais « vin- (gt) ». Puis,  on ne dit pas « mo-elle» épinière on dit « moile » épinière. Je leur demandais alors si on disait une po-elle ou une « poîle ». J’avais déjà éliminé de mon vocabulaire la payelle pour poêle et la cayelle pour chaise. J’ai découvert aussi tardivement que la clenche de la porte que l’on dit « clinche »,  ce n’était pas français et qu’il fallait utiliser poignée de porte. 

La clenche est la partie d'une ancienne serrure, issu du vieux-francique klinka (« loquet ») (XIIIe siècle), J’aurais dû me méfier avec  les phonèmes in et  che dans le même mot, il est un pur produit  du  ch’timi. Et pourtant ce mot, banni des parisiens, a pour dérivés les verbes déclencher et enclencher ….

Tous les dialectes ont une histoire et influencent la langue  française. Le patois de Lille et ses environs   dérivent « de la langue primitive, comme les rameaux d’un même tronc » (Pierre Legrand 1853) :   la   langue d'oïl, une langue à part entière, et non du français déformé. Le patois est formé de mots fondamentaux, reliquats celtiques, latins et tudesques.

La langue Française, soumise aux caprices de la prononciation à la mode, se pliant aux règles des grammairiens et aux différents courants de pensée des élites, s’est profondément modifiée contrairement aux patois.  Ainsi le patois de Lille s’est moins détourné de son berceau.  C’est pourquoi, en utilisant, sans me rendre compte, le terme de «  billet de mort »,  à la place de  faire-part de décès, une amie comédienne et lettrée me déclara qu’elle n’avait pas entendu cette expression depuis longtemps et que cela faisait très XIXème siècle (en référence aux lettres  de décès que l'on faisait porter). Il est vrai que plusieurs professeurs de français dans ma carrière m’ont fait des remarques sur mes tournures de phrases qui les amusaient. Ma langue et son usage commémore mes aïeux.  

Les élèves aussi ont leur langue et j’ai appris à ne pas déprécier leurs usages.  Je rejoins les idées de la linguiste  Marie Véniard,  « du point de vue de l’enseignement, il est important de considérer l’école comme un lieu social dans lequel on s’exprimera à l’écrit ou à l’oral, dans un registre  courant ou soutenu, ce qui ne disqualifie pas d’autres registres utilisées à la maison. »

J’ai pu remarquer que le nombre de fautes d’orthographe évolue  avec mon niveau de stress et d’émotions complexes ; Au début de ma carrière d’enseignant, j’ai eu l’occasion  de réaliser le premier (et aussi le dernier) rapport d’incidents d’élève, écrit sur le vif. Jeune enseignante, je n’avais pas encore appris la distanciation professionnelle et je bouillonnais d’émotions complexes (colère, sentiment de culpabilité, sentiment d’injustice). Je l’ai récupéré dans mon casier avec toutes les fautes entourées, signée  par la proviseure. Le message était clair, l’humiliation cuisante. Il fit furieusement écho à mon souvenir de CE1. Dès lors, j’ai mis un point d’honneur à ne plus écrire de rapports d’incidents. Bien sûr, après vingt- cinq ans d’enseignement, je fais nettement moins de fautes mais je préfère rédiger des projets de classe plutôt que des rapports d’incidents.

Je rédige tous mes écrits professionnels au calme, sans distraction psychique ou émotionnelle. Je continue de lutter contre les fautes, j’ai revu dix fois les règles de grammaire et pourtant les fautes persistent, disparaissent et réapparaissent au fil du temps. Le combat est sans fin, je doute, je réapprends, j’oublie, j’hésite.

Je ne pense pas  que  la langue de nos jeunes de Créteil se soit appauvrie, son vocabulaire est différent, multiculturel et d'un usage grégaire.  Ils n’ont pas de problèmes de communication, les SMS, les tweets construisent leur patrimoine lexical et de nouvelles normes sont à inventer. J’ai acquis la conviction que critiquer les élèves qui font des fautes, ne sert à rien. Je dédramatise leur problème avec l’écrit. En cas de doute nous avons plusieurs dictionnaires dans la classe dont celui des termes médicaux.

La majorité de mes  élèves présente un écart important entre leur expression orale et leur production écrite. Ils sont incapables d’écrire aussi facilement qu’ils peuvent comprendre, réfléchir et participer à une discussion.

Je favorise l’expression orale et je privilégie l’écriture collaborative ou coopérative. Je me concentre sur le vocabulaire professionnel (orthographe et étymologie), je diversifie les évaluations sous forme de jeux, questions pour un champion,  quiz, mots fléchés. En fin de semaine, je fais des pendus avec le vocabulaire nouvellement appris  et j’utilise la carte mentale pour l’organisation  des idées et des connaissances.  Autant de stratégies pour favoriser l’apprentissage et la mémorisation sans la nécessité de produire de leçons à l’image de romans- fleuves.

Pour conclure, je dirai  que mon histoire personnelle du difficile passage de l’oral à  l’écrit a marqué mon rapport au savoir et mon rapport à l’enseignement, qu’avec les années je ne me sens plus coupable d’être un enseignant qui fait parfois des fautes de français.  Que les personnes en délicatesse avec l’orthographe et l’écriture ne sont pas plus bêtes que les lettrés surtout depuis que j’ai appris qu’aucune étude n’a pu prouver une corrélation entre le niveau d’orthographe et celui de l’intelligence.

S. LOTFI

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(1) Comment penser les relations oral/écrit dans un cadre scolaire ? Isabelle Delcambre Équipe Théodile-CIREL (ÉA 4354)Université Charles de Gaulle – Lille 3

(2) dictionnaire du patois de Lille et de ses environs, Pierre Legrand 1853 en ligne : https://www.lexilogos.com/picard_dictionnaire.htm