passeur de messages


Café philo

Travaux d'écriture coopératif

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Elèves Aides -Soignants
Promotion 2014- 2015
 

A tout âge,  le bonheur

 
_Lycée Johannes Gutenberg de Créteil_
 
 
PREAMBULE
 
Ce livret est le résultat d’un travail collectif d’écriture, réalisé par des élèves aide- soignant,  dans le cadre du Partenariat entre le lycée Gutenberg de Créteil et la "Maison des Aidants".
 
Ce partenariat est destiné aux personnes qui, de par leur activité professionnelle ou leur situation familiale, se trouvent en relation d’aide. Que ce soit les aidants familiaux ou les aidants professionnels, ils assurent souvent au quotidien un rôle parfois difficile à appréhender et partagent les mêmes problématiques. 
 
La relation d’aide peut être source de satisfaction et de gratification mais la confrontation avec le vieillissement, la maladie et l’isolement peut être déstabilisante. Nous nous rencontrons pour comprendre ou simplement en parler et tisser des liens autour d’activités culturelles partagées, chacun apportant à l’autre une expérience, une ouverture d’esprit.
 
Depuis quelques années, nous avons pris l’habitude de nous rencontrer et d’échanger autour de différentes actions : café philo ou littéraire, pièce de théâtre, visite de musée. Outre de donner du sens aux contenus scolaires en abordant des questions  qui mobilisent  et  lient  des savoirs transversaux, le cœur du projet est de favoriser  le lien social entre les générations. Ces rencontres intergénérationnelles s’inscrivent dans la durée afin qu’un lien se tisse au fil du temps.
 
Le thème abordé cette année 2014-2015 est « le bonheur à tous les âges de la vie ». Pour ce travail d’écriture, les élèves se sont inspirés du livre « Cinq, six bonheurs de Mathis. 
 
Sylvie LOTFI 
Enseignante
chapitre 1.
 
Je suis en formation d’aide- soignant. C’est presque la fin du parcours, il ne nous reste que le stage optionnel. Les élèves de la classe commencent à respirer et à souffler. Seul le module huit est encore à valider. Nous sommes dans la routine confortable d'une année scolaire presque terminée. Et c'est là que la prof a eu l'idée farfelue de nous proposer l'écriture d'un livre sur le bonheur à l’occasion de  l'exposition de l'Abbaye prévue en juin. Cette désolante nouvelle fit soupirer la moitié de la classe et râler l'autre moitié. 
 
Au regard de notre réaction, elle demanda  à quelques volontaires d’écrire sur le thème du bonheur et réussit sournoisement à nous désigner d'office au plus grand soulagement du reste de la classe. 
L’une, parce qu'elle sait "soit disant" bien écrire, l'autre parce qu'elle a beaucoup d'idées et la dernière parce qu'elle ne dit jamais non. 
Pourtant, ce n'est pas que nous en ayons particulièrement envie, pas plus que la liste de courses de la grand-mère du quartier. Nous aurions préféré écrire un "tuto" sur les conseils de beauté et le maquillage des peaux matures. 
Contraintes et forcées, nous nous installons devant un ordinateur en salle A310. Les petits jeunes de seconde ASSP, massés au tableau autour d'une carte géographique sont rapatriés dans leur salle. 
 
Le calme revenu, la page Word reste désespérément blanche. Je fais une tentative sur google "le bonheur des soignants", "le bonheur et la relation d'aide", "le bonheur des personnes âgées ". Mais comme d'habitude, j’observe  le petit rond vert qui  mouline. L'ordinateur rame et finit par planter. C’est le bug ! Rien à "copier-coller". La souris pleure de désespoir. Je demande aux voisines si elles ont plus de chance. Nos cerveaux sont figés et restent bloqués. Vient alors la décision qui s'impose, nous allons essayer de réfléchir par nous-mêmes. 
Nous parlons de nos points communs et nous abordons nos  périodes de stages  dans tous les services de soins ou en EHPAD. Nous revoyons les visages ridés, fatigués ou reposés, demandeurs ou opposés, tristes ou gais  et  leurs regards   attentifs ou  lointains,  vides ou pétillants. Toutes ses silhouettes fragiles et  graciles,   menues ou corpulentes, qui trottinent  d'un pas hésitant dans les couloirs ou restent blotties, recroquevillées dans les fauteuils... Qui choisir à l'image du bonheur, M. P ou tiens  Mme V. Puis tout à coup, je pense à  Mme R.,  mon bonheur tendresse.
 
Chapitre 2.
 
 
Mme R vit en EHPAD. Aphasique et parkinsonienne me dit son dossier de soins. Petite, brune,   elle possède une garde-robe que j'admire chaque jour au moment de la toilette. Elégante et coquette, elle aime les soins que je lui apporte. Je la coiffe, je la maquille. Elle ne parle pas ou si peu mais son regard et son sourire me touche. Je sais qu'elle est divorcée, qu'elle a perdu son fils "ce qui lui a fait perdre la parole", disent les soignants.  
Je ressens chez elle le vécu, avec ses hauts et ses bas, avec  ses cicatrices de l’âme. Le malheur ne l'a pas abîmé. Elle reste digne, ne se laisse pas aller,  n'a pas de sautes d'humeur et  se plaint rarement.  Elle  ne décharge jamais sa douleur sur les soignants. Parfois dans son fauteuil, quand  la tristesse la surprend ou quand  son  regard se vide, je pose ma main et maintiens sa jambe qui tremble. Alors, le sourire revient.   
 
A la fin de la  toilette, elle pose délicatement sa tête sur mon épaule gauche, du côté du cœur et me serre fort la main. A ce moment-là, il m’arrive de l'entendre  chuchoter un petit "oui" en réponse à ma question. Après le déjeuner, allongée sur son lit, devant son feuilleton "Les feux de l'amour", elle pose sa main sur ma cuisse comme pour me dire reste avec moi. Je reste là, jusqu'à ce qu'elle s'endorme. Petit moment privilégié de  bonheur tendresse que je partage en me sentant utile. 
 
Je la reconnais  de loin car elle penche toujours la tête, installée dans son fauteuil. Melle A. a 80 ans, toujours impeccable dans une jolie robe. Je vais au-devant d’elle et je pousse son fauteuil pour l’emmener, comme chaque jeudi, à la messe. 
Ses médicaments la font baver, j’essuie  alors sa bouche, délicatement, avec son mouchoir de poche. Elle n’a jamais de visite extérieure, elle m’a confié qu’elle a été élevée chez les sœurs religieuses. 
Elle chante souvent lors des soins. Le matin,  je réalise sa toilette au lit. Quand je passe doucement le gant sur sa peau exposée,  si fragile,  elle se met à chanter : « c’est la mère Michel qui perdu son chat… ». Je souris et je chante avec elle, ravie. Et tout devient plus simple. Ce moment, si intime,  qui nous fait à tous si peur, peur de faire mal et peur de mal faire, devient léger,  comme le bonheur d’une comptine, chantée à deux voix. 
Elle me remercie toujours à la fin en m’appelant par un petit nom affectueux, elle en a toute une gamme, « ma puce », « ma chérie », « mon trésor », « ma biche » ou « ma belle ». C’est formidable d’apporter la tendresse à Melle A. qui en a tant besoin et de recevoir en retour de la gentillesse. Et ce n’est pas pour rien si sa chanson préférée est « la ballade des gens heureux ».  
 
Notre vieille Terre est une étoile 
Où toi aussi  tu brilles un peu.
Je viens te chanter la ballade. La ballade des gens heureux… 
 
Le soir, elle ne manque jamais de me dire  « bonne nuit, fais de beaux rêves, ma chérie. ». Je ferme la porte doucement, je souris et je suis heureuse de ce bonheur simple mais partagé.
 
Aux antipodes de Mlle A, il y a Mme V. Franche et directe, ce sacré caractère aime dire ce qu’elle pense sans imaginer les conséquences. On pourrait prendre cela pour de la méchanceté mais il faudrait être susceptible. 
 
Elle lance ses remarques sans détour et s’amuse de ses bonnes réparties, puis finit par oublier ce qu’elle a dit.
 «Que vous êtes  laide aujourd’hui, vous  ressemblez à un cheval», « vous êtes la bêtise incarnée, c’est quoi ces doigts de serpent», «Que ce chignon ressemble à un chignon mal fait».  Et si vous essayez de répliquer gentiment : « mais non,  il est normal, c’est la mode de maintenant. »,  la réponse arrive sans tarder : « Eh bien,  vous ressemblez à une tête d’ananas ».
 
 
Satisfaite, elle repart à petits pas, appuyée sur sa canne, à la rencontre d’autres soignants à taquiner.
 
Ana, Laetitia et Samira
Chapitre 3. 
 
Le bonheur, nous l’avons  étudié, ensemble, autour d’un café. Nous avons réfléchi sans contrainte, sans évaluation ou diagnostic. Est-il une illusion ? Est-il dans l’effort ? Est-il un objectif ou une valeur ? Certains l’ont toujours en tête ? D’autres l’ont oublié ? Y a-t-il un bonheur ou des bonheurs? Le bonheur est-il de se sentir bien dans sa bulle ou se sentir bien avec les autres ? 
 
Nous avons aussi échangé autour de quelques affirmations scientifiques. Il parait que nous avons 
80 000 pensées par jour mais 85 % sont négatives et,   chez les gens heureux, le lobe frontal gauche serait plus développé. Finalement, nous en avons conclu que le bonheur n’a pas d’âge, pas de sexe, pas de couleur. Il est, tout à la fois, culturel et universel. 
 
Puis, nous avons pensé au travail d’écriture réalisé en début de formation, lors d’une de nos premières rencontres avec les aidants de l’accueil de jour. Nous devions poursuivre le poème et  déjà le bonheur s’invitait dans le moment partagé et dans l’écriture.
 
 
Vieillir en beauté ... 
Vieillir en beauté, c’est vieillir avec son cœur 
Sans remords, sans regret, sans regarder l’heure. 
Aller de l’avant, arrêter d’avoir peur, 
Car, à chaque âge, se rattache un bonheur.
  ... auteure Ghyslaine Delisle
Vieillir en beauté ...
C’est vieillir auprès de l’être aimé,
C’est vieillir en restant coquette,
En se disant qu’on a tout gagné.
En ayant la chance de voir ses petits-enfants.
Laetitia, 21 ans
 
 
Vieillir en beauté ...
C’est vieillir avec tout l’amour des siens,
C’est  les avoir, le plus souvent, auprès de soi.
Avec tous les bons souvenirs,
C’est d’être aimée et de profiter de tous ceux que j’aime.
Maîté 68 ans
 
Vieillir en beauté ...
C’est vieillir en prenant soin de soi. 
C’est vieillir avec le respect de soi.
Vieillir en beauté, c’est vieillir avec sa culture.
C’est grandir au fur et à mesure.
Samira, 23 ans
 
Vieillir en beauté ...
C’est vieillir dans l’acceptation,
C’est vieillir  en étant sereine.
Vieillir en beauté en renonçant à sa peine, 
Vieillir en beauté, c’est vieillir dans l’action. 
Josette 55 ans
 
Vieillir en beauté ...
C’est vieillir avec tout le respect, sans avoir peur, 
De ce que l’on est devenu pour la société. 
Notre beauté ne prendra jamais fin, elle restera toujours en notre intérieur.
Même si les années ont passé, les souvenirs anciens resteront à jamais. 
Naisly 21 ans
 
Vieillir en beauté ...
Vieillir en beauté c’est vieillir naturellement,
Car il faut savoir accepter son destin.
En effet, tout a un début et une fin.
Vieillir en beauté, c’est vieillir en paix intérieurement.
 
Vieillir en beauté, c’est ouvrir son cœur,
En répandant autour de soi beaucoup de bonheur.
Vieillir en beauté, c’est continuer à offrir son amour,
Sans rien attendre en retour.
 
Vieillir en beauté, c’est accorder à son prochain beaucoup d’attention,
Et recevoir en retour tellement d’affection. 
Vieillir en beauté, c’est rester naturel jusqu’à ses dernières heures,
En quête d’une denrée rare, le bonheur. 
 
Radjarame, 22 ans
 
Chapitre 4.
 
Tout a un début et tout a une fin,
La formation se termine 
 
Le diplôme en poche, je me souviens avec bonheur :
 
Néné :
De mes amies, mon courage, des réussites, des disputes nos fous rires. 
 
Sylvain :
De la 1ère fois où j’ai posé les pieds dans la classe et que j’ai fais connaissance avec mes camarades de différentes nationalités, quel bonheur de partage avec des personnes de divers horizons.
 
Madognia :
Je me souviens avec bonheur de nos fous rires en cours.
 
Fama :
Des karaokés à l’heure du repas de midi.
 
Sanaba :
Nos délires en cours, les repas, les petites histoires, les débats.
 
Laetitia :
De cette journée sur la péniche à Paris, accompagnés des aidants, d’être entres nous et observer les monuments malgré la pluie.
Marine :
Le jour où j’ai vu mon nom sur la liste d’admis au concours, de la mauvaise ambiance du début mais au fur et à mesure, on a appris à s’apprécier.
Anonymes :
- Les bons moments, les blagues entres nous, mes profs.
- Les repas antillais et africains, l’ambiance, ma formatrice.
- Nos fous rires, les sorties avec madame Lotfi et madame Hallaf, les histoires de madame Hallaf.
 
 
Muriel Hallaf et Sylvie Lotfi:
 
Du chemin parcouru pour chacun d’entres vous, afin d’être à ce jour diplômé et prêt à  construire  votre vie professionnelle et personnelle, nous espérons vous avoir accompagné avec bienveillance et exigence et contribué à ce que vous êtes aujourd’hui.